L'Ecole Normale de garçons
Les normaliens posent devant le bassin du jardin
CLIC !!!
La disparition du jardin
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C'est en notre absence, à la faveur de la pause estivale, avec la complicité de l'Administration et de ses suppôts, que le crime a été commis. Quand nous sommes revenus de vacances pour attaquer notre 2ème ou 3ème année -je ne me souviens plus-, nous n'avons pu que constater la disparition. Ils avaient osé!
Plus de jardin! Notre beau et grand jardin où croissaient à plaisir l'oseille et la laitue, le poireau et la carotte; notre jardin orné d'un bassin où nous venions contempler les ébats de quelques poissons rouges et qui servait de décor à nos photos; notre jardin ceinturé d'un sentier qui abritait nos déambulations, chaque fois que, en dehors des heures de cours, nous voulions fuir la promiscuité, le bruit et le tabagisme de nos salles pour nous dégourdir les jambes, nous oxygéner, rêver, étudier ou discuter; notre jardin qui s'ornait à une extrémité d'un bouquet d'ifs et à l'autre d'une verrière adossée à l'école annexe; notre potager que nous jugions indispensable et donc éternel avait été remplacé par un stupide terrain de sport, cimenté, goudronné, géométrique, sans arbres, sans verdure et sans âme
Le jardin à la rentrée 1951 (Photo Claude Barratier)
. Ah, si nous avions été vigilants! Il y avait eu des signes avant coureurs, comme ce début de démontage de la verrière ou cet envahissement progressif des plates-bandes par les mauvaises herbes. Mais soyons sans regrets, le combat était perdu d'avance. Qui d'entre nous aurait osé se dresser contre ces mains criminelles qui arboraient l'étendard du progrès, des loisirs et des bienfaits du sport? Combien auraient eu l'héroïsme de passer pour des réactionnaires, des passéistes et des ploucs en défendant un potager contre l'envahissement du sport -nouvelle divinité- dont nous aurions eu à combattre les dévots et les thuriféraires jusque dans nos rangs? Autant défendre les diligences et les lampes à huile. Il était dit que l'instituteur de demain serait sportif ou ne serait pas. Il était révolu le temps du jardin d'instituteur qui, à côté de chaque école, témoignait autant des qualités pédagogiques que des qualités horticoles du Maître , lequel apportait à son jardin la même méthode, la même patience, le même amour qu'à sa classe. Il était loin le temps de l'Inspecteur Primaire en tournée, jetant un œil sur la tenue du jardin pour prendre une idée du Maître qu'il allait visiter. Désormais, chaque école, aussi petite et campagnarde soit-elle allait s'appliquer à remplacer jardin par terrain de sport; bêches et râteaux par raquettes, filets et ballons. Que ça nous plaise ou non, nous étions entrés dans la civilisation des loisirs. Notre potager de l'E.N. était l'insupportable témoin d'un autre temps. Il fallait qu'il disparaisse.
Robert Géal (jaoyeux équipage, 52-56)
Quelques années plus tard...